Erreurs de diagnostic : encore plus nombreuses que ne le prédisait le rapport de l’Académie de médecine de 1999

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Erreurs de diagnostic : encore plus nombreuses que ne le prédisait le rapport de l’Académie de médecine de 1999

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  • Une femme médecin, assise à son bureau, se tient la tête devant l'écran de son ordinateur - La Prévention Médicale

Tout le monde s’en souvient : le célèbre rapport de l’Académie de médecine américaine publié en 1999 "To err is human" (Khon et al 1999) avait fait l’effet d’une bombe. Il estimait par extrapolation (un peu au "doigt mouillé") de 40 à 80 000 décès par an aux États-Unis, liés à des erreurs de diagnostic ; soit la seconde cause de décès du pays après les accidents de la route. Presque 25 ans plus tard, une série de contributions scientifiques mieux étayées essaie de réajuster les chiffres produits à l’époque.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 25/10/2023

Un résultat en 2023 pire que celui de 1999

Les chiffres estimés sont plutôt de 795 000 (598 000 à 1 023 000) diagnostics erronés/an pour les seuls États-Unis, avec 371 000 décès associés et 424 000 handicaps provoqués (Marang-van de Mheen 2023, Newman-Toker 2023). Même une approche ultra prudente et minimaliste trouve encore de l’ordre de 549 000 problèmes graves/an, associés à des mauvais diagnostics aux États-Unis.

Les 5 pathologies les plus contributives aux erreurs de diagnostic sont :

•    l’AVC, 
•    les infections, 
•    les pneumonies, 
•    les cancers du poumon,
•    les thrombophlébites. 

Elles concentrent 37,8 % du total des erreurs commises.

Peut-on faire confiance à ces estimations ?

Tous ces chiffres sont des extrapolations, qui pourraient continuer à être fortement sujettes à doute (Shojana, Dixon-Woods, 2017). 

Côté positif, on peut dire que depuis 1999, les techniques statistiques d’extrapolation se sont fortement améliorées, et les bases de données fortement agrandies et normalisées. Les analyses et études publiées se sont multipliées, locales ou nationales, ciblées sur une pathologie donnée ou transversales. 

Mais il est vrai que toutes ces études se confrontent toujours à des problèmes récurrents :

  • La qualité du codage initial des actes sur les dossiers médicaux par les établissements médicaux (1) (avec son lot de défauts structurels dans les cas complexes de multi-pathologies, d’erreurs involontaires et aussi parfois volontaires pour jouer avec la tarification) et périmètre de la population incluse dans l’étude (décès hospitalières et/ou décès à domicile) (2).
  • La façon d’inclure les cas importe aussi, par signalement des médecins eux-mêmes, ou par une relecture par des pairs sur la base de dossiers prétriés par des programmes informatiques indépendants qui sont, eux-mêmes, éventuellement sujets à critiques (par exemple avec la méthode des Global trigger tools).
  • Les facteurs de pondération sur l’imputabilité réelle décidés pendant l’analyse sont une troisième source d’interprétation des chiffres, rarement bien explicitée dans ses mécanismes dans les articles. Le temps du diagnostic dans l’évolution de la pathologie est une question de la plus grande importance ; on le souhaite précoce, mais il s’agit alors d’un diagnostic forcément plus difficile. Cette question renvoie à la grande difficulté des analystes à estimer que les éléments du diagnostic étaient effectivement disponibles et accessibles au médecin incriminé au moment des faits. 
  • Inversement, les études minimisent presque systématiquement la partie des erreurs de diagnostic ou des diagnostics manqués qui n’ont pas eu de conséquences. 

Pour autant, et malgré toutes ces sources variables d’interprétation, il apparait que toutes les études publiées sont assez convergentes sur les chiffres annoncés.

Cela laisse à penser qu’elles traduisent bien la réalité d’un très grand nombre d’erreurs de diagnostic causant des décès en médecine.

Quels espoirs d’amélioration ?

On a beaucoup progressé avec les capacités méthodologiques d’identification des erreurs de diagnostic, notamment avec la méthode des Global trigger tools (algorithmes qui recherchent systématiquement les précurseurs potentiels d’erreurs médicales dans les dossiers médicaux électroniques). 

On a moins progressé pour les éviter. 

On se trouve  au cœur du métier de médecin, et de sa plus grande difficulté, celle du diagnostic. Il est souvent pratiqué dans des conditions difficiles :

  • surcharge et temps disponible insuffisant, 
  • exercice parfois isolé, 
  • accès à des informations encore partielles dans le temps, 
  • formation continue à maintenir au plus haut niveau dans une médecine de plus en plus complexe.

Ces points ne sont pas des excuses, mais ce sont assurément des raisons institutionnelles et structurelles qui ne peuvent pas s’améliorer rapidement. L’espoir repose maintenant beaucoup sur les nouvelles capacités d’aide informatique, notamment à base d’intelligence artificielle.

Les dix ans à venir et le déploiement à grande échelle de ces aides devraient apporter des éléments de réponse sur leur efficacité et commencer à se traduire dans les chiffres.

Pour aller plus loin
Kohn L, Corrigan JM, Donaldson MS, To err is human : building a safer health system. Washington, DC : National Academy Press, Institute of Medicine, 1999.
Marang-van de Mheen PJ, Thomas EJ, Graber ML How safe is the diagnostic process in healthcare ? BMJ Quality & Safety Published Online First : 4 October 2023.
Newman-Toker DE, Nassery N, Schaffer AC, et al Burden of serious harms from diagnostic error in the USA BMJ Quality &Safety Published Online First : 17 July 2023.
Shojana K., Dixon-Woods M. Estimating deaths due to medical error : the ongoing controversy and why it matters. BMJ Qual Saf 2017.